Ces trois sujets sont profondément liés et s’éclairent entre eux. Le thème qui les lie est celui des valeurs et du sacré. C’est la conclusion de Jean d’Ormesson, l’orientation du poème en prose de Montherlant, l’explication de la vindicte de Léon Bloy :
- le sport devient en lui-même une idéologie avec une valeur unique la compétition, d’où agressivité et violence (notamment des supporters)..
- le sport peut servir des valeurs plus altruistes : solidarité universelle, respect des droits de l’homme (engagement des sportifs dans les causes humanitaires).
- le sport peut relier l’homme au cosmos et, devenant méditation et prière, dire l’indicible du divin (plus sensible en athlétisme qu’ailleurs).
SUJET I.
Les héros du monde moderne.
De quoi s’occupent les Français ? De quoi s’occupe le monde ? De gens qui courent et qui sautent sur la neige et la glace. De Rousseau à Flaubert, de Chateaubriand à Karl Marx – pour ne rien dire de Jules Verne – beaucoup de grands esprits des siècles écoulés ont imaginé l’avenir que nous sommes en train de vivre. Aucun n’a prévu que des milliards d’hommes et de femmes vivraient par procuration les exploits physiques de champions de ski ou de saut. Les sports d’hiver n’existaient pas, la télévision n’existait pas – et c’est la conjonction de la télévision et du sport qui donne au monde moderne une de ses dimensions essentielles. Les jeux Olympiques d’hiver ont renvoyé à l’arrière-plan ce qui se passe en Russie, en Algérie, en France, partout. Au-delà des nationalismes, sur lesquels il s’appuie, mais qu’il dépasse pourtant, le sport est devenu la première, peut-être, des passions collectives de l’humanité.
Il y a quelque chose de traditionnel et sans doute d’éternel dans cette passion du sport. Le baron de Coubertin n’a fait que reprendre et développer ce que les Grecs avaient inventé, avec leur génie à jamais sans égal, vingt-cinq siècles avant nous. Ils avaient découvert qu’il y a une force dans l’homme qui le pousse à se dépasser et à repousser toujours plus loin les bornes qui lui sont imposées. En ce sens, l’esprit olympique n’est pas fondamentalement différent de la curiosité scientifique : il s’agit d’aller au-delà. Si absurdement critiquées il y a quelques années, l’émulation et la compétition triomphent à Alberville. L’important, bien sûr, n’est pas de gagner mais de participer. N’empêche : chacun s’efforce d’aller plus loin et plus vite que les autres. Non pour les humilier, mais pour montrer, sans phrases, avec des chiffres qui changent des discours des politiques et des littérateurs, que l’homme est plus grand que lui.
La tradition olympique s’appuie aujourd’hui sur une technique triomphante. Toute une série d’industries sont liées aux jeux. Les courses automobiles de formule 1 servent l’ensemble de l’industrie automobile ; les champions de tennis sont transformés en publicités vivantes ; du tourisme à l’audio-visuel, en passant bien entendu par les fabricants d’articles de sport, les jeux Olympiques ont une signification économique. Ils drainent des millions et des millions de francs. A l’époque de M. de Coubertin, les jeux Olympiques se passaient à la bonne franquette : les retombées étaient faibles. Aujourd’hui, grâce surtout aux liens avec la télévision, les Jeux prennent une dimension nationale et internationale que les dictatures ont exploitée les premières et que les démocraties ont découverte à leur tour.
Ils prennent aussi l’allure d’une fête. Longtemps limité à un défilé militaire, le 14 juillet est devenu une fête avec danses et mannequins géants et acrobates et costumes éclatants. Grâce à une organisation sans faille qui a mobilisé toute une région, les Jeux d’Alberville sont devenus une fête du même genre. Comme la politique, la littérature et la guerre, le sport est devenu un spectacle. Parce que le monde entier est devenu un spectacle. On a répété à satiété que le monde moderne a retrouvé la formule de la Rome impériale : “panem et circenses” (du pain et des jeux). Ce n’est qu’à moitié vrai. Le pain est réparti à travers la planète selon une inégalité révoltante : les uns en ont plus qu’il n’en faut, les autres en manquent cruellement. Les Jeux, au contraire, sont distribués à travers le monde avec une générosité et une impartialité sans précédent. Le nom d’Alberville sera devenu familier dans les cinq continents. IL n’y a pas de peuple qui n’aura pas vibré, tremblé, espéré avec les dieux du stade. Le sport n’est pas seulement l’héritier des jeux Olympiques de l’Antiquité classique, il est aussi l’héritier de la tragédie grecque simplifiée aux dimensions de la planète.
Il n’est pas impossible que le sport soit l’idéologie d’un monde qui ne croit plus à rien. Les alpinistes, les descendeurs, les champions du bobsleigh sont les héros de l’inutile et les saints de l’absurde. Ils ont fait de leur corps ce qu’était jadis l’âme : le lieu de toutes les vertus et de tous les courages. Ils sont les chevaliers d’une civilisation qui a perdu ses valeurs et qui les retrouve dans le panache de la neige.
Jean d’Ormesson, Figaro-magazine, 15 février 1992.
- a) Résumez ce texte en 200 mots (± 10 %). Respectez l’équilibre des §. Indiquez le nombre de mots employés.
- b) Expliquez : “montrer (…) que l’homme est plus grand que lui” ; “la tragédie grecque simplifiée aux dimension de la planète”.
- c) Commentez puis discutez ou prolongez cette affirmation de Jean d’Ormesson : “Il n’est pas impossible que le sport soit l’idéologie d’un monde qui ne croit plus à rien.”
SUJET II
VESPER (1)
Le stade n’est que silence et solitude.
Les réflecteurs s’éteignent un à un.
Les vitres des vestiaires s’éteignent, toutes ensemble. Quelque chose s’éteint.
Il n’y a plus qu’un garçon, là-bas, qui lance le disque dans la nuit descendue.
La lune monte. Il est seul. Il est la seule chose claire sur le terrain.
Il est seul. Il fait pour lui seul sa musique pure et perdue, son effort qui ne sert à rien, sa beauté qui mourra demain.
Il lance le disque vers le disque lunaire, comme pour un rite très ancien, officiant de la Déesse-Mère (2), enfant de chœur de l’étendue.
Seul – tellement seul – là-bas. Il fait sa prière pure et perdue.
Montherlant (1896-1972) Les Olympiques (1924 puis 1938)
(1) Vesper : le soir en latin (cf “vespéral”, “vêpres”). …Ce poème en prose fait songer au Discobole, statue en bronze de Myron (Grèce, V°s avant notre ère). En voir une reproduction dans le dictionnaire de Robert 2. (2) La Déesse-Mère désigne une divinité archaïque symbolisée par la Lune, élément féminin.
Vous étudierez ce texte sous la forme d’un commentaire composé. Vous pourrez par exemple mettre en valeur la vision du lanceur de disque, la conception du sport et les sentiments de l’auteur devant ce spectacle.
SUJET III.
Au début du siècle, Léon Bloy, journaliste et polémiste célèbre, déclarait : “Je crois fermement que le sport est le plus sûr moyen de produire une génération de crétins malfaisants”.Commentez puis discutez ou prolongez cette opinion
Roger et Alii – Retorica – 1 060 mots – 6 500 caractères – 2018-02-20
31 SOC sport sacré Montherlant – correction des trois sujets
Sujet I Les héros du monde moderne
- a) (200 mots demandés pour 75 lignes soit 200/75 = 2,66 mots par ligne, 1. 16 lignes, 2. 16, 3 14, 4 20 et 5 7 lignes)
1 (44 mots demandés) Dans le passé les écrivains ont souvent tenté de se représenter notre présent. Mais personne n’aurait pu imaginer que la terre entière se passionnerait pour des sports de neige retransmis par la télévision. Au point même d’en oublier les évènements politiques. (43 mots obtenus).
2 (44 mots demandés) Or nous ne faisons que redécouvrir la passion d’aller toujours plus loin. Elle remonte à l’olympisme antique et ressemble à l’esprit de recherche. On ne se contente pas de participer, on rivalise avec autrui et on se dépasse soi-même. (43 mots obtenus).
3 (38 mots demandés) Mais comme toutes les autres activités sportives l’olympisme est profondément lié à l’activité industrielle et à l’économie. Cela change de ses débuts ! De plus la dimension planétaire entraîne aussi une dimension politique. (35 mots obtenus)
4 (54 mots demandés) Et maintenant, semblable à la Fête nationale, les jeux d’Alberville sont conçus comme un spectacle géant réglé avec beaucoup de minutie. Le spectacle est omniprésent. Des pays entiers peuvent manquer de pain mais pas de jeux. Depuis le site d’Alberville c’est la terre entière qui frémit aux exploits dramatiques des petits-fils de l’Antiquité. (56 mots obtenus).
5 (19 mots demandés) Enfin le sport se sacralise. Le corps des officiants intrépides de la neige condense la vertu pour remplacer l’âme. (20 mots)
Total : 197 mots obtenus pour 200 demandés.
- b) “montrer que l’homme est plus grand que lui” (fin § 2) 1. comprendre : l’homme est plus grand que l’homme. Il y a un comparatif de supériorité mais le mot “homme” est pris dans deux sens différents : “lui” l’homme concret et normal, le sportif (1° sens) veut prouver qu’il est plus grand que lui-même, qu’il est capable de se dépasser pour atteindre un autre état de l’homme, devenir un surhomme (2° sens) 3. C’est une figure de style très courante : il s’agit d’une antanaclase “Un père est toujours père” (Racine, “Phèdre”), “Ce Beaujolais c’est vraiment du beaujolais” : .
“la tragédie grecque simplifiée aux dimensions de la planète” (fin § 4) 1. L’expression présente un double contraste : genre (tragédie) / lieu (planète) et petit (simplifiée) / vaste (dimensions de la planète). 2. c’est un paradoxe car on se demande comment l’extension à la planète peut simplifier la tragédie 3. En réalité la tragédie est dans la réussite ou l’échec, il y a toujours un vainqueur et donc un vaincu. Le triomphe de l’un fait la tragédie de l’autre (et de son peuple s’il est chauvin…)
- c) Commentez puis discutez ou prolongez cette affirmation de Jean d’Ormesson : “Il n’est pas impossible que le sport soit l’idéologie d’un monde qui ne croit plus à rien.”
Code : 0 = introduction(s) et 9 = conclusion(s)
0 Introduction. La réflexion de Jean d’Ormesson est émise à l’occasion des jeux olympiques d’hiver organisés par la France à Albertville. Il faut en comprendre le sens avant de la discuter ou de la prolonger.
1.0 Essayons d’en comprendre le sens.
1.1 Qu’est-ce qu’une idéologie : “Ensemble des croyances, des idées et des doctrines propres à une époque, à une société ou à une classe” dit le Robert qui ajoute ironiquement un exemple emprunté à Roland Barthes : “Ces biens bourgeois que sont par exemple, la messe du dimanche, la xénophobie, le bifteck-frites et le comique de cocuage, bref ce qu’on appelle une idéologie.” Plus simplement et plus sérieusement, c’est toujours selon le Robert un “système d’idées, une philosophie du monde et de la vie”. Ainsi le sport n’est plus une pratique, c’est un spectacle, et c’est une philosophie du courage et du dépassement de soi. Se dépasser mais dans quel but ?
1.2 Cette idéologie marque notre époque, peut-être d’une manière transitoire, parce que le monde où nous vivons “ne croit plus à rien”. La foi religieuse semble en déclin, la science et la technique font peur, le communisme et le socialisme n’ont pas tenu leurs promesses, le libéralisme est désespérant car il développe le chômage. Il ne resterait donc que le chacun- pour- soi, la compétition, l’agressivité, les vainqueurs et les vaincus, les chefs et les esclaves. Ce qui nous mène à une vision totalitaire du sport.
1.3 L’homme a besoin de croire. Sa ferveur va donc se tourner vers les héros sportifs. Ex : l’émotion provoquée par la mort dramatique d’Ayrton Senna, ses funérailles au Brésil, la baisse puis le regain d’intérêt pour la formule 1… Tout cela aide à oublier les difficultés de la vie quotidienne, comme un anesthésiant. “La religion est l’opium du peuple” écrivait Karl Marx. Le spectacle sportif l’a remplacé comme “opium”. Une enquête récente sur les supporters de l’O.M. montrait à quel point certains d’entre eux n’avaient que le club comme raison de vivre.
1.4 Remarquons l’apparente prudence de Jean d’Ormesson. “Il n’est pas impossible” : en fait c’est une litote. Tout le texte le prouve. Jean d’Ormesson montre que le spectacle sportif a tout annexé : la technique, l’économie, la politique. Des peuples meurent de faim mais ils pourraient l’oublier grâce au spectacle télévisé ?. On songe au mot de Léon Bloy : “Je crois fermement que le sport est le plus sûr moyen de produire une génération de crétins malfaisants.”
1.9 Apparemment donc le spectacle sportif, notamment au moment des Jeux, concentre l’attention de la planète entière et devient par là même une philosophie de la vie. Un effort inutile, voué rapidement à l’oubli, suffirait-il à remplir une vie ?
2.0 Heureusement la réalité est bien différente.
2.1 Le propre du spectacle c’est de disparaître, d’être une illusion. Les médias enchaînent les spectacles sportifs les uns à la suite des autres. Pour eux tout devient spectacle, pas seulement le sport ! Les téléspectateurs le savent bien et se lassent. Les jeux d’Alberville ont connu un déficit financier important, beaucoup de télévisions étrangères refusant de payer les droits demandés. Par ailleurs l’apparition des chaînes thématiques culturelles, éducatives, sportives etc. montre que le public se diversifie et réfléchit.
2.2 Le public se passionne aussi pour les causes humanitaires. De très nombreuses associations développent des actions de solidarité, d’aide aux défavorisés. Or les sportifs de haut niveau sont très souvent sollicités et répondent volontiers à ces appels. Ils savent qu’ils sont des modèles pour la jeunesse et soutiennent ainsi une idéologie du respect de l’autre et de l’amour du prochain (pour reprendre dans un sens laïque une terminologie religieuse) Ils purifient et transmutent par l’altruisme un égo hypertrophié par la compétition.
2.3 Il faut distinguer le spectacle et la pratique sportive. La seconde est induite par le premier. Mais s’il y a un sacré, au sens où l’entendent Jean d’Ormesson ou Léon Bloy, c’est bien celui de l’athlète concentré sur lui-même, tel que le montre Montherlant dans “Vesper” : quand la réunion sportive est finie, quand il n’y a plus de spectateurs, dans un face à face émouvant avec la lune, la Déesse-Mère, le lanceur de disque s’accomplit dans sa “prière pure et perdue”.
2.9 Le spectacle sportif fait oublier un temps la vie quotidienne. Mais elle reprend vite le dessus et finalement propose quand elle n’importe pas des valeurs de solidarité.
9 Conclusion Apparemment les craintes de Jean d’Ormesson semblent fondées. En fait je crois qu’elles le sont assez peu. La société du spectacle existe, l’égoïsme aussi, mais les valeurs de solidarité humaine, indispensables dans un monde en crise, me paraissent bien vivantes.
Sujet III Au début du siècle; Léon Bloy, journaliste et polémiste célèbre déclarait : “Je crois fermement que le sport est le plus sûr moyen de produire une génération de crétins malfaisants.” Commentez puis discutez ou prolongez cette opinion.
0 Introduction Léon Bloy (1846-1917) “connut une vie de misère indescriptible”. C’était un “journaliste de combat” qui attaqua toute l’école naturaliste, un “catholique ardent qui fustigea le conservatisme du Vatican”, comme le matérialisme, la démocratie et le positivisme par ses invectives violentes”. Son œuvre mêle violence polémique et effusion mystique. Amateur de formules définitives il écrit : “Il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints.” (renseignements puisés dans le Robert 2). On ne s’étonnera pas donc pas de sa formule violente : “Je crois fermement que le sport est le plus sûr moyen de produire une génération de crétins malfaisants”. Il faut bien entendu commencer par expliquer cette opinion avant de la prolonger ou de la critiquer.
1.0 Que peut signifier cette formule ?
1.1 Sport est un mot anglais, importé en France au XIX° siècle. Léon Bloy est le contemporain de Pierre de Coubertin. Le sport, comme les jeux olympiques, est alors l’apanage de d’aristocrates assez riches pour être de vrais amateurs qui vont bientôt fustiger les “professionnels”. L’idéal olympique ne se démocratisera que très lentement. On a vu les intérêts de Léon Bloy. Le sport lui apparaît comme un “divertissement” au sens de Pascal. Il détourne des vrais intérêts qui ne peuvent être que religieux !. Le conflit de classe se double d’un conflit mystique.
1.2 Le mot “crétin” est d’abord un terme médical. C’est une débilité mentale et une dégénérescence physique liées à une insuffisance thyroïdienne et marquées par un goître. Balzac a décrit des “crétins des Alpes” d’une manière saisissante (“Un médecin de campagne”). On les trouvait notamment dans des maisons sans soleil et sans hygiène. Bien entendu Léon Bloy emploie le terme dans un sens imagé et insultant. Ces “crétins” seront le produit du sport, donc les produits d’une éducation contraire au bon sens. Or les visionnaires du sport, comme Pierre de Coubertin, insistaient sur les bienfaits physiques et moraux des exercices physiques.
1.3 Avec “une génération de crétins malfaisants”, ce n’est pas l’individu mais le groupe qui est visé. Léon Bloy prévoit l’engouement sportif futur. Il semble d’ailleurs avoir en vue plus les spectateurs que les sportifs eux-mêmes. C’est un phénomène de société. En ce sens il se montre un peu visionnaire.
1.4 Ce n’est évidemment qu’une opinion et Léon Bloy le dit honnêtement : “Je crois fermement…” .Mais il parle de “plus sûr moyen” : en somme il y a de multiple moyens d’abêtir les masses et le sport est le meilleur de tous. L’écrivain semble ainsi rattacher l’olympisme aux jeux romains du cirque : “Du pain et des jeux” rappelés dans le sujet I par Jean d’Ormesson. Or ces jeux étaient très cruels. C’est probablement l’explication de “malfaisants”.
1.9 Léon Bloy juge moins le sport lui-même que ses conséquences sur des foules de spectateurs rendus bêtes et méchants.
2.0 Cette opinion suscite un certain nombre de prolongements.
2.1 Un sportif serait-il un “crétin” ? Il est vrai que pendant longtemps certains sports ont traîné avec eux une réputation peu flatteuse : c’est le cas de la boxe. Un bon boxeur doit frapper dur, être méchant et pour être hargneux il doit avoir connu la faim. L’agressivité et une bonne frappe semblait suffire. Stylistes s’abstenir : on demande des cogneurs !
2.2 Plus sérieusement la fureur des foules dans les stades, la violence des “hooligans” (catastrophe du Heisel) , relève incontestablement de ce “crétinisme malfaisant”. Autre preuve de ce “crétinisme malfaisant’” l’enchaînement des négligences coupables qui ont mené à l’écroulement d’une tribune lors de la catastrophe de Furiani (17 morts, 1900 blessés). Enfin les sportifs de haut niveau participent souvent à trop de rencontres (foot-ball, tennis, cyclisme) et on commence à découvrir que certains sont bien abîmés physiquement en fin de carrière et meurent jeunes..
23 La réflexion de Jean d’Ormesson à propos des jeux d’Albertville et de la société du spectacle va dans le même sens et semble montrer que les craintes de Léon Bloy étaient fondées : les jeux de Berlin en 1936 ne sont pas boycottés et servent de tribune à Hitler, les jeux de Mexico en 1968 se déroulent à quelques centaines de mètres d’un massacre d’étudiants. Les jeux de de Munich en 1972 sont marqués par un attentat de terroristes palestiniens contre des athlètes israéliens.
24 Avant de marquer les limites de sa pensée il faut quand même revenir sur le texte de Jean d’Ormesson qui rappelle les enjeux économiques énormes dont dépend aujourd’hui le sport. Sans compter les enjeux politiques : la puissance d’une nation se mesure à ses médailles olympiques. Le dopage prend des proportions hallucinantes et terrifiantes : sa pratique se répand chez les jeunes athlètes selon une enquête récente ; on a eu connaissance de nageuses inséminées puis avortées en début de grossesse pour améliorer leurs performances.
2.9 La pratique sportive moderne a effectivement donné raison aux craintes de Léon Bloy.
3.0. Mais les sportifs ont été les premiers à réagir contre ces excès d’autant que le terme de sport recouvre de nombreuses réalités
3.1 Le sport est une pratique de développement personnel et peut être une mystique. On le voit clairement avec le texte du sujet II “Vesper” de Montherlant. Le jeune lanceur de disque est seul dans la nuit et son geste pur semble une prière. Beaucoup d’amateurs ne cherchent pas la performance mais une bonne santé et une harmonie intérieure.
3.2 Le sport a une valeur éducative indéniable, y compris et peut-être surtout la boxe. Elle permet à de jeunes délinquants d’apprendre à se dominer, de respecter des règles pour se faire respecter, de ramener la violence et l’agressivité à une énergie canalisée. La pratique des jeux collectifs apprend le fair-play, la coopération et la convivialité. Enfin on a rapidement découvert que le sport par ses règles, ses contraintes, ses stratégies et ses tactiques était une pratique intelligente.
3.3 Les jeux olympiques, dans l’antiquité, était une alternative à la guerre. Les jeux modernes assument la même fonction. Même quand les commentateurs des médias cèdent au chauvinisme, les rencontres internationales permettent aux peuples de se rencontrer et de se comprendre.
3.4 Les liaisons entre le sport de haut niveau l’industrie et l’économie ont des retombées positives malgré les réticences de Jean d’Ormesson. Dès qu’une vedette émerge, par exemple en basket, la pratique se développe. Les foules en général et les jeunes en particulier ont besoin de héros. On peut le regretter ou s’en féliciter quand le héros devient un modèle de comportement positif.
3.9 Si l’on prend du recul pour considérer le système sportif dans ses diverses dimensions on peut dire que le phénomène est positif.
9 Conclusion Il faut donc relativiser la portée du jugement de Léon Bloy. Les excès qu’il prévoyait sont effectivement là. Et son opinion hargneuse a toujours valeur de conseil utile. Mais le sport a aussi permis de canaliser des énergies personnelles et sociales. De ce point de vue le phénomène sportif est un facteur de paix, d’équilibre et d’harmonie.
Sujet II Vesper
0 Introduction “Vesper” (Le soir) est un poème en prose de Montherlant. Tiré de son recueil “Les Olympiques” ce texte se présente comme la description d’un jeune lanceur de disque, saisi le soir, seul, dans son élan. Nous étudierons la situation générale du texte et de la scène, le personnage du jeune discobole et enfin les enjeux du poème tels qu’on peut les percevoir à travers le narrateur.
1.0 Etudions d’abord la situation générale du texte et de la scène.
1.1 Le stade est présenté vidé de son public et de ses athlètes par la métonymie des “réflecteurs” et des “vitres des vestiaires” qui “’s’éteignent’” et naturellement par l’insistance mise sur la solitude du garçon : le mot “seul” répété six fois et scande le poème d’une manière obsédante. La première phrase donne l’impression générale : “silence” et “solitude” (noter l’allitération en s-l). On a le sentiment d’une disparition progressive de tout ce qui ne sera pas le geste du discobole.
1.2 Les lumières bénéficient d’un traitement privilégié : tout d’abord par le rythme ternaire du verbe s’éteindre et un sentiment indéfinissable : “Quelque chose s’éteint” : il s’agit probablement de l’agitation d’un spectacle en nocturne. Ensuite tout bascule dans une antithèse : “la nuit descendue”/”la lune monte”. Celle-ci n’est revue qu’en fin de texte comme “disque lunaire” et divinité.
1.3 Mais le discobole n’est pas seul dans ce stade. Sur les gradins on devine le narrateur, spectateur privilégié qui est resté pour écouter en lui-même les résonnances du spectacle et surtout pour regarder ce beau garçon et son effort solitaire.
1.9 La vision d’un stade vide, la nuit, à la clarté de la lune est assez inhabituelle. L’hommage au sport commence ici par le refus du public et du spectacle, l’accueil du silence et de la nuit. Ce qui réunit les conditions d’une méditation et d’une prière..
2.0 Abordons maintenant le personnage du jeune discobole.
2.1 Le personnage n’est pas décrit : on sait simplement qu’il est jeune et beau (“garçon”, “beauté”). On l’identifie très vaguement (“seule chose claire sur le terrain”). Mais il accroche la lumière de la lune, ce qui va mettre en valeur le geste pur du lancer de disque. Le lancer lui-même n’est pas décrit : “il lance le disque” dit simplement le narrateur. Premier mystère : c’est l’imagination du lecteur qui va donner corps au discobole.
2.2 Ce texte présente un second mystère. Pourquoi le jeune discobole s’attarde-t-il dans un dernier lancer ? Ce n’est probablement pas un vainqueur de la rencontre : ceux-ci sont généralement entourés d’amis qui les congratulent. S’il a mal lancé le disque, ce geste a valeur de réparation à ses propres yeux : effort apparemment inutile souligné par le narrateur. Mais il est à la recherche de lui-même. Le lancer du disque suppose un rythme particulier, en trois temps. Il semble suggéré par le rythme ternaire de “(il fait pour lui seul) sa musique… son effort… sa beauté.” La métaphore de la “musique pure et perdue” rend bien la valeur du geste. Il faut noter au passage les allitérations en p-r et l’oxymore pure/perdue : ce qui a de la valeur est totalement gratuit.
2.3 La prière.semble être l’explication profonde du texte. Le garçon ne se sentait pas vraiment en paix avec lui-même. Ce dernier lancer en plein “silence”, en pleine “solitude” (du moins le croit-il) est une manière de se reprendre en main tout en se reliant au cosmos dont la lune est la métonymie. Au moment où le disque s’échappe de sa main pour voler vers le disque lunaire (et retomber mais on ne le verra pas) le sens de la prière gestuelle s’accomplit : ce n’est plus un sportif mais un jeune prêtre païen (“officiant”) ou un “enfant de chœur” catholique. Il y a un lien subtil entre la musique et la prière : cette dernière est elle-aussi “pure et perdue” ? Ne servirait-elle à rien ? On ne prie pas pour demander mais pour adorer en s’ouvrant au sacré.
2.9 On ne voit donc pas le discobole et le geste est à peine décrit mais on sent que ce garçon veut retrouver, seul, le geste pur du discobole. Et c’est par sa concentration sur ce geste qu’il retrouve quelque chose de sacré et que ce geste devient prière.
3.0 Penchons-nous enfin sur les enjeux de ce poème
3.1 Les souvenirs antiques sont très nombreux dans ce texte. On songe évidemment au fameux bronze de Myron, le Discobole, du V° siècle avant notre ère. Myron saisit l’athlète dans son geste même et la rencontre de la statue antique et du garçon vivant fascine le narrateur. Par ailleurs la lune est un des attributs de la Déesse-Mère, cette divinité archaïque toute-puissante. Intuitivement le garçon semble retrouver un rite très ancien. Il est brusquement élevé à la dignité de prêtre, il accomplit un sacrifice qui le dépasse. “Enfant de chœur” est une concession au christianisme mais tout baigne dans le sacré du paganisme. Ce sont les Grecs qui nous ont donné le sport.
3.2 La mystique du geste, de la solitude et du silence semble être partagée par le garçon et le narrateur. Mais à partir du 6° verset (le poème en compte 8), la description cède la place au commentaire du narrateur. La prière est moins celle du garçon que la sienne. C’est le narrateur – et l’écrivain bien sûr – qui sent monter une émotion à la fois esthétique (par la beauté du geste suggérée mais jamais dite) et métaphysique (à quoi sert un geste inutile, perdu dans le temps). La “beauté” n’est d’ailleurs pas celle du geste mais du garçon, ce qui n’exclut pas une certaine sensualité.
3.3 Le “carpe diem” antique semble être la clé du poème. Tout le texte insiste sur la solitude du garçon, son effort qui “ne sert à rien”, sa beauté qui “mourra demain”. On retrouve un écho de Ronsard : l’effroi devant la vieillesse inévitable. L’essentiel n’est-il pas de fixer en un poème ce moment lumineux et qui va disparaître dans l’instant même. N’est-ce pas d’ailleurs la signification même du sport ? que signifie un record, sinon un souvenir ?
3.9 Les enjeux du texte sont à la fois culturels et mystiques. Le geste sportif quand il est concentré, parfait et gratuit devient une sorte de prière. Mais il met d’autant mieux en valeur, aux yeux du narrateur, qui a dépassé alors la trentaine; le tragique poignant du temps qui passe et qu’il faut immobiliser par l’art.
9 Conclusion Le texte se nomme “Vesper”, le soir et ce titre est à prendre dans des sens multiples. C’est le soir du jour, de la réunion sportive, d’un élan qui s’achève, d’une vie qui va connaître son déclin. C’est un moment miraculeux où, loin de la vanité de la foule, un garçon lance une dernière fois son disque, comme cela, pour le plaisir. Et pour le narrateur c’est un spectacle poignant car en lui revivent les grands souvenirs antiques et le “carpe diem” : saisis le jour qui passe dans sa beauté pour en extraire le secret et le traduire pour tous, dans un poème
Roger et Alii – Retorica 3750 mots – 22 600 caractères pour les trois corrigés – 2018-02-20
Roger (2018-02-20) : J’avais donné ces trois sujets à une classe de 1°S en 1992. Voici les résultats
0 : 2 (copies non remises) + 5 : 2 + 6 : 2 + 7 : 2 = 13 copies +
8 : 5 + 9 : 5 : 10 copies +
10 : 5 + 13 : 2 + 14 : 2 + 15 :3 = 12 copies
Ce corrigé monstrueux correspondait aux exigences fantasmées des instructions officielles. Ses 3 750 mots correspondaient à 37 heures de travail. Autant dire que l’ensemble était très largement expérimental et que les élèves en étaient informés. Je n’ai pas souvenir que le conseil de français tenu ensuite ait manifesté une vive réprobation.
On peut se servir en classe inversée. Les élèves prennent connaissance chez eux de l’ensemble du dossier.
Ensuite on en discute en classe. Je préconise un débat silencieux avec a6 et synthèse finalement rédigée par le prof.
Les élèves sont ensuite incités à rédiger un 200 mots récit, ou 200 mots essai, ou 200 mots dialogue ou 200 mots poème. Edition des meilleurs ou des plus significatifs ou mieux encore édition de tous les textes sur le blog de la classe.
Toutes les suggestions sont les bienvenues.
Roger et Alii – Retorica – 5 050 mots – 30 200 caractères – 2018-02-20