L’art a-t-il un sens ?
1. L’art a longtemps été lié à la religion mais l’artiste reste encore un médium. Il est habité. Il crée malgré lui, peut-être pour les autres mais d’abord pour lui. En ce sens il n’aurait pas d’utilité sinon pour lui-même.
2. L’art avance à coup de scandales en éveillant les consciences, l’art est le reflet des archétypes. Le peintre sur commande n’a pas de renouvellement. On attend de l’artiste qu’il traduise la modernité. L’artiste est souvent jugé immoral en son temps.
3. En a-t-on besoin ? Que serait un monde sans art ? La question “A quoi sert l’artiste ?” est un peu une question marchande.
4. “Art” est lié au couple “artisan” / ”artiste” mais aussi “artifice”. C’est au XVI°s que la rupture se fait avec le religieux et que l’art prend son autonomie. Or l’étymologie indo-européenne du mot “art” renvoie à arrangement (d’où “armure”, arm “bras” en anglais). L’art est un arrangement qui crée une émotion.
5. Toute expression n’est pas art mais tout art est expression. L’art est créativité et il est au-delà de la technique. C’est une voie (do, tao). L’art doit surprendre et bouleverser. L’art est créativité.
6. « L’art dérange comme le sacré. Tout acte, toute manifestation individuelle de créativité, que ce soit en musique, en peinture, en poésie ou même dans les grands moments de percée et de découverte scientifique – ainsi qu’en ont témoigné de nombreux hommes de science -, jaillit d’une source mystérieuse d’inspiration et est converti en forme par l’intermédiaire d’une énergie dont le rôle est de traduire et de communiquer. (…)
Cela ne permet aucunement d’affirmer que les grands artistes sont des êtres éveillés ; leur vie montre qu’à l’évidence il n’en est rien? Néanmoins, il est clair également qu’ils peuvent, à certaines périodes cruciales et dans certaines circonstances exceptionnelles, jouer le rôle d’instruments et de vecteurs de l’énergie d’éveil. (…)
Pour beaucoup, l’art a été une aide qui leur a permis d’entrevoir la nature de la spiritualité. Cependant les limites d’une grande partie de l’art moderne ne sont- elles pas dûes à la perte de cette connaissance des origines et du but sacré de l’art : donner à l’homme une vision de sa vraie nature et de sa place dans l’univers, et lui restituer, constamment renouvelés, la valeur et le sens de la vie, ainsi que ses possibilités infinies ? »
Sogyal Rinpoché « Le livre tibétain de la vie et de la mort », Ed de la Table Ronde, 1993 (p.457-459)
7. Marguerite Yourcenar raconte dans ses « Nouvelles orientales » comment le peintre Wang-Fô disparaît dans son propre tableau. Le peintre saisit l’essence de la réalité au point de rendre cette dernière insignifiante. Edgar Poë avait déjà montré des peintres qui tuaient leur modèle en s’emparant de leur énergie vitale. L’art est plus vrai que le vrai car il traduit la réalité de la réalité.
8. Il faut du temps pour comprendre une œuvre et il faut aussi une initiation. Excellence de la collection vidéo “Palettes” (souvent présentée sur Arte). Tout le monde peut-il être artiste ? Oui car il faut recréer l’œuvre dans la lecture ou la contemplation.
9. « Je ne vois pas pourquoi les gens attendent d’une œuvre d’art qu’elle veuille dire quelque chose alors qu’ils acceptent que leur vie ne rime à rien. » (Danid Lynch, cinéaste). A partir du moment où notre vie rime à quelque chose, a un but, une orientation, une voie, l’œuvre d’art que nous contemplons ou créons prend un sens, dit quelque chose. D’où la question : “L’esthétique est-elle l’éthique de l’art ?”.
10. Selon Georges Steiner, l’homme a perdu la foi dans le langage parce qu’il a perdu foi en Dieu. “Y a-t-il quelque chose dans ce que nous disons ?” C’est au moment de Rimbaud et de Mallarmé qu’éclate le conflit entre le langage et l’être. « Mallarmé explique que le mot “rose” n’a ni épines, ni odeurs, ni pétales, qu’il n’a rien à faire avec le monde mais seulement avec lui-même. à l’intérieur d’un texte fermé. » Le « Je est un autre” dit adieu à toute philosophie du sujet. La littérature, l’art ne parlent plus de l’homme mais d’eux-même. La peinture est finie depuis Malevitch. Et on ne joue dans les salles de concert que des œuvres antérieures à Schoenberg. Ce qui garantissait l’immanence et le sens de l’œuvre d’art c’était la transcendance qui l’habitait. Désormais nous avons un passé. Hugo pouvait dire « Mon frère Homère ! » Nous ne le pouvons plus. Wittgenstein dit : « Chaque parole s’inscrit dans un jeu langagier, un infini modèle logique, mathématique, formel. » Nous n’avons plus affaire qu’à une circularité mortelle de « l’après-Logos, de l’après-Mot ».
11. La déconstruction de Derrida est un défi. Un défi au sens du sens. C’est ce défi que Steiner prétend relever. A la déconstruction il oppose la philologie dont l’épaisseur pluridimensionnelle construit une éthique de la réception. (d’après un entretien avec Georges Steiner, au sujet de son livre, “Réelles présences : les arts du sens.” (Le Monde, 1991_01_11). Il faut peut-être en revenir à Sigmund Freud « Il y a en effet un chemin qui permet le retour de l’imagination à la réalité, et c’est l’art »
(d’après des sources diverses, notamment un café philosophique, Montauban du 9 avril 1997)
Roger et Alii
Retorica
(900 mots, 5.200 caractères)